vendredi 29 octobre 2010
Buvez Madison aime le nouvel album de Bryan Ferry/ Lu dans Libération
Le nouveau disque de Bryan Ferry, Olympia, est sorti Lundi alors qu’avec son groupe, Roxy Music, splitté depuis 1982 et l’album Avalon, il poursuit une tournée mondiale - remplissant les stades en rejouant les tubes seventies.
Le crooner rock, créateur des impérissables Love is a Drug et More Than This, 66 ans, ne parle pas de retraite anticipée à taux plein. Toujours aussi smart, yeux clairs dans le vague, voix suavement blasée, il survole les modes et l’air du temps en dix titres lancés par le rutilant single You Can Dance.
Olympia, comme celle de Manet et en référence au quartier de Londres où Ferry possède son studio d’enregistrement, renoue avec les productions chromées de l’époque Boys and Girls, son plus gros succès solo à ce jour (mené par le tube Slave to Love, clip de Mondino), et avec les pochettes soignées de la grande période Roxy (aujourd’hui, le mannequin-star Kate Moss, pin-up à diamant renversée, en lieu et place des Jerry Hall ou Marilyn Cole d’hier).
Les paroles des chansons demeurent laconiques, avec quelques sommets de cristallisation chic pour James Bond Bullshit en descente de yacht («Something incredible, so déjà-vu» ou «I like Campari sodas»).
On rencontre la légende dans un palace parisien le jour de la mort de Tony Curtis, qu’on lui annonce tout à trac («Uh, il ressemblait à un ami à moi…»)
Sur cet album, il y a des reprises (Traffic, Tim Buckley), mais surtout des nouvelles chansons de vous. Avez-vous toujours plaisir à composer ?
C’est beaucoup de travail et cela peut tourner à la torture. Quand j’étais prolifique, dans les années 70-75, je passais ma vie à composer, jouer et enregistrer. Je n’avais plus aucune existence sociale, pas de maison, pas de petite amie, rien du tout, je bossais tout le temps…
Ah bon ? On vous voyait tout le temps entouré de filles sublimes sur les photos…
Oui, [rires] rien de sérieux, à vrai dire ; rien de stable… En tout cas, après cette période intense, j’ai commencé à découvrir les plaisirs de l’existence et voulu équilibrer ma vie privée et ma carrière. Peut-être était-ce une illusion, et qu’à un moment donné, je n’étais plus suffisamment concentré, sur la brèche. Le côté impliqué à 100% revenu depuis deux ans, j’ai acquis une sorte de régularité dans le fait d’aller tous les jours dans mon studio à Londres et d’être entouré par une équipe de types très jeunes, des gens de 20 ans pas plus, et d’autres, des vieux dans mon genre qui avons une longue expérience. Je crois que c’est une bonne combinaison et j’espère que l’album reflète ça. Mais écrire reste en effet une rude épreuve.
Le casting des musiciens est hallucinant (David Gilmour, Nile Rodgers, Jonny Greenwood de Radiohead, Brian Eno, etc.). Comment procédez-vous pour intégrer tous ces gens à votre petite cuisine ?
C’est très agréable, dans ma position, de pouvoir juste passer un coup de fil pour dire à ces musiciens d’essayer des trucs pour moi sur tel ou tel morceau. On enregistre énormément de choses et puis, avec le producteur Rhett Davies, on passe des jours en studio à fabriquer les morceaux. Un jeu de construction pièce par pièce qui est fragile, parce qu’il ne faut pas, dans ce processus de montage, qu’on perde le côté émotif, chaud, du jeu du musicien. Sur You Can Dance, par exemple, il y trois bassistes. C’est très inhabituel pour un morceau de rock, sans doute pas nécessaire, mais je trouve cela intéressant à tenter. Le grand jazzman Marcus Miller joue la ligne de basse principale ; Flea, des Red Hot Chili Peppers, apparaît au moment du chorus et, sur tout le morceau, il faut ajouter Mani, de Primal Scream, qui a fait un son de drone. C’est peut-être indétectable pour un auditeur lambda, mais je sens inconsciemment quand le morceau est parachevé ou qu’il lui manque un élément pour que l’architecture soit aussi parfaite que je le souhaite.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
La littérature, les films, les choses que j’observe en voyage. J’aime être ailleurs, dans des lieux inconnus. Je ne suis pas très bon dans l’exercice de la relaxation, mais toujours assoiffé de découvertes nouvelles. Je suis un grand voyeur.
C’est une observation d’esthète, vous n’êtes pas très impliqué politiquement…
On m’a déjà incité à écrire des chansons engagées mais je dois avouer que ce n’est pas trop mon registre. Bien sûr, j’ai des convictions, comme tout le monde, mais quand j’ouvre le journal, je file directement aux pages Culture.
Le star-system a-t-il énormément changé depuis vos débuts? Les maisons de disques se sont partiellement écroulées…
Certes, mais il n’y a rien que je puisse y faire, à part essayer de rester créatif. L’industrie musicale a été obligée de se remettre en question, de se diversifier, d’être peut-être plus généreuse avec le public. Avec les gars du studio, on ne fait pas seulement de la musique ; on a tourné un making-of de l’album, on produit des clips, des remixes, on édite un livret de 40 pages pour la version Deluxe du disque. Pour les concerts de Roxy, nous avons créé toutes sortes de projections visuelles, avec plein de références pop pour rendre le show plus séduisant. Finalement, il y a un retour à une forme d’artisanat. Une certaine inclination générale à la standardisation est peut-être en train de disparaître.
Avez-vous des regrets ? Des conseils que vous auriez aimé suivre et qui vous ont manqué…
Des millions de conseils ! Je fais toujours tout de travers… Méchant garçon. J’ai toujours été très mauvais en langues étrangères, j’aurais dû mieux écouter mon professeur de français. J’aurais aimé savoir skier, être acteur…
Comment s’organise une journée de Bryan Ferry ?
J’ai un esprit latéral, il vagabonde ou fait des déductions par sauts de puce. Je regarde la fenêtre, là, devant nous, et je me demande pourquoi c’est fabriqué de cette manière, à quoi sert ce petit rebord… Donc, pour échapper à la terrible divagation du rêveur, je dois tenter de tenir un planning. Je vis à Chelsea, je me lève, je vais au studio. Je l’ai acheté il y a une vingtaine d’années parce que c’était important d’avoir un endroit où aller le matin travailler tous les jours.
Vous êtes né le même jour que le poète T.S. Eliot, dont vous êtes fan. Vrai ?
Oui, enfin je suis aussi né le même jour qu’Olivia Newton-John ! J’ai toujours été fan d’Eliot, il a toujours su exprimer la mélancolie de l’existence à travers une poésie qui est vraiment à l’origine de la modernité. Je lisais beaucoup les poétes autrefois, moins maintenant. Pendant des années, j’avais toujours sur moi un petit volume de The Wasteland [«la Terre vaine»] ou The Four Quartets[«les Quatre Quatuors»], et j’aimais en lire une page à chaque moment perdu. Je me rappelle qu’étudiant, je découpais des poèmes de Sylvia Plath pour les coller sur les murs de ma chambre… Le côté elliptique et sombre de la poésie m’a toujours fortement attiré.
Vous êtes considéré comme un dandy, cela vous convient-il ?
[Il fait la grimace] Pour affronter le monde, il faut bien s’habiller, il faut faire un effort. Quand j’étais jeune, il y avait des stars que j’admirais, Cary Grant, Gary Cooper, Humphrey Bogart… Et je suppose que je me suis dit qu’il fallait essayer de leur ressembler. Et puis j’aime ce que disait Nick Cave, qui racontait qu’il nouait toujours une cravate avant de se mettre à son bureau pour écrire parce que c’était un travail sérieux. Moi aussi, parfois, je mets une cravate pour enregistrer une chanson.
Pourquoi Kate Moss sur la pochette de l’album ?
Il fallait quelqu’un de glamour et de controversé. Kate Moss est l’une des plus grandes beautés de notre époque, elle est liée au monde du rock, elle est parfaite, elle a quelque chose derrière le regard qui ne se laisse pas attraper. Et puis, hum, c’est une fan, elle m’a dit qu’elle avait toujours rêvé d’être une «Roxy girl»…
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